Blog Français de Droit Constitutionnel

La Cour de cassation envoie la QPC se faire voir à Luxembourg

21 Avril 2010 , Rédigé par Didier RIBES Publié dans #Justice constitutionnelle

La Cour de cassation n'arrive décidément pas à transmettre une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ! Dans un arrêt du 16 avril 2010 consultable ici, elle saisit la Cour de justice de l'Union européenne de la conformité de la loi organique du 10 décembre 2009 au droit de l'Union européenne :


"L'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'UE signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 s'oppose-t-il à une législation telle que celle résultant des articles 23-2, alinéa 2 et 23-5, alinéa 2, de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 créés par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, en ce qu'ils imposent aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité qui leur est posée, dans la mesure où cette question se prévaut de la non-conformité à la Constitution d'un texte de droit interne, en raison de sa contrariété aux dispositions du droit de l'Union?"


En l'espèce, la QPC posée était la suivante:  "l'article 78-2, al. 4 du Code de procédure pénale porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution de la République française?".


Cette disposition avait bien été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 5 août 1993, mais la Cour retient un changement de circonstances : la signature par la France du traité de Lisbonne.

 

La Cour estime que "les juridictions du fond se voient privées, par l'effet de la loi organique du 10 décembre 2009, de la possibilité de poser une question préjudicielle à la CJUE avant de transmettre la question de constitutionnalité; que si le  Conseil constitutionnel juge la disposition attaquée conforme au droit de l’Union européenne, elles ne pourront plus, postérieurement à cette décision, saisir la CJUE d'une question préjudicielle [...]. De même, [...] la Cour de cassation ne pourrait pas non plus, en pareille hypothèse, procéder à une telle saisine malgré les dispositions impératives de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ni se prononcer sur la conformité du texte au droit de l’Union. »


Cet arrêt donnera sans aucun doute lieu à de nombreux commentaires tant sa lecture est source d'interrogations, pour ne pas dire de stupéfaction !

 

Comment ne pas rejoindre Guy Carcassonne et Nicolas Molfessis dans leur première analyse de la décision ? "La Cour de cassation à l'assaut de la question prioritaire de constitutionnalité", Le Monde, vendredi 23 avril 2010, p. 15.

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L
<br /> <br /> Le CC, à l'occasion de la décision 605 DC, délivre son point de vue, ou, plus exactement, accorde une explication de texte, sur l'articulation entre QPC et question préjudicielle à la CJUE ;<br /> cons. 10 et s., en particulier les cons. 13, 14 et 15. On peut penser que ces considérants seront une précieuse source d'inspiration pour la CJUE.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> Le CC s'est invité au débat, à l'occasion du contrôle de la loi sur les jeux de hasard, les saisines s'étant aventuré dans la discussion. Considérant 10 et s. de la 605 : en tout simplicité !<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Bonjour monsieur le Professeur , je suis étudiant en L3B a Aix et c'est avec intérêt que je suis depuis l'été 2009 l'actualité constitutionnelle via votre blog , et aujourd'hui malgré la fin de<br /> l'année universitaire qui approche à grand pas je me décide enfin à poster un message .<br /> <br /> <br /> Le sujet de la question préjudicielle de constitutionnalité m'intéresse énormément , je me pose la question de savoir comment vont s'harmoniser la question préjudicelle de constitutionnalité et<br /> le renvoir préjudiciel ?<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Je crois au contraire que la Cour de cassation a eu raison de poser cette question, qui serait de toute façon "venue sur le tapis". Autant crever l'abcès tout de suite.<br /> <br /> <br /> C'est la faiblesse de cette procédure de QPC que de nier la primauté du droit communautaire, les juristes du Conseil constitutionnel ne l'ignoraient d'ailleurs pas, et les auteurs (Denys Simon,<br /> Paul Cassia) avaient depuis longtemps tiré la sonnette d'alarme. Le législateur constituant n'en avait pas tenu compte, il revient aujourd'hui à la CJUE de rappeler "Simmenthal"...<br /> <br /> <br /> <br />
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D
<br /> <br /> La réalité, notamment juridique, est malheureusement bien plus complexe que la présentation que vous en faites. Il était admis notamment que la QPC n'excluait pas un renvoi préjudiciel et qu'une<br /> juridiction pouvait décider dans le même temps d'un renvoi préjudiciel et de la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. Par ailleurs, contrairement à ce que peut affirmer<br /> l'arrêt de la Cour de cassation, la QPC n'a jamais empêché le juge judiciaire d'exercer le contrôle de conventionnalité. Il faut également rappeler que la procédure visée dans l'arrêt Simmenthal<br /> n'est pas la même que celle prévue par la loi organique du 10 décembre 2009 et que la solution retenue n'est pas clairement transposable. Mais, vous avez raison, nous aurons vite la position de<br /> la CJUE sur le sujet...<br /> <br /> <br /> <br />